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Boualem Sansal à l’honneur le samedi 29 mars au Festival des Ecrivains du Sud 2025 (Aix-en-Provence)

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35e édition du Printemps du livre de Montaigu (28-30 mars 2025) : Boualem Sansal mis à l’honneur

Pour sa 35e édition, Le Printemps du Livre de Montaigu met à l’honneur Boualem Sansal. L’écrivain franco-algérien est actuellement dans les geôles de l’Algérie pour avoir défendu la liberté d’expression.

Le festival a adressé une invitation symbolique à l’auteur via sa maison d’édition, en signe de solidarité. Malgré son absence physique, Boualem Sansal occupera une place centrale lors de cette édition du salon littéraire de Montaigu.

Un moment privilégié intitulé « Boualem Sansal, absent mais si présent » lui sera consacré pendant le festival. Cette Escale Littéraire accueillera Kamel Bencheikh, écrivain et poète franco-algérien, ami fidèle de Boualem Sansal. Les deux hommes partagent une vision lucide des dérives politiques algériennes et un engagement profond pour la liberté d’expression.

Né en Algérie et installé en France, Kamel Bencheikh est une voix engagée contre la censure et le fanatisme. Son dernier essai, L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident – Anatomie d’un renoncement, en témoigne. Il apportera son éclairage sur l’œuvre et le combat de Boualem Sansal. Kamel Bencheikh intervient le samedi 29 mars à 17 h 30 sous le chapiteau de la place de l’Hôtel de Ville.

Tout au long du festival, un espace dédié permettra aux visiteurs de découvrir et d’acheter les ouvrages de Boualem Sansal. Kamel Bencheikh sera également présent les samedi 29 et dimanche 30 mars pour échanger avec le public.

Auteur majeur de la littérature francophone, Boualem Sansal s’est illustré par ses romans dénonçant la corruption, le fanatisme et les abus du pouvoir algérien. Les autorités algériennes l’arrête en novembre 2024. Il a alors 80 ans et souffre d’un cancer. On l’incarcère à Alger pour « atteinte à l’intégrité du territoire national ». Cela suscite depuis des mois une vague d’indignation internationale. Le 20 mars 2025, le parquet du tribunal algérien requiert une peine de 10 ans de prison ferme. Le verdict est attendu pour le 27 mars.

En mettant en avant son œuvre et son combat, le Printemps du Livre de Montaigu réaffirme son engagement pour la liberté d’expression et la force des mots.

« L’œuvre de Boualem Sansal, d’une richesse et d’une profondeur rares, ses mots emprunts de courage et de lucidité, tout nous rappelle avec force la nécessité de défendre des valeurs de liberté qui nous sont chères, » souligne Antoine Chéreau, président de Terres de Montaigu, communauté d’agglomération organisatrice du Printemps du Livre.

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Salon du livre de Genève : table ronde consacrée à Boualem Sansal le vendredi 21 mars

Cette table ronde a été animée par la journaliste Catherine Morand, dont nous reproduisons ci-dessous l’argumentaire.

Les auteurs originaires du continent africain font un tabac et remportent des prix littéraires parmi les plus prestigieux. Le prix Goncourt 2024 a ainsi été remis au franco-algérien Kamel Daoud pour Houris, trois ans après La plus secrète mémoire des hommes du Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr. Tandis que le Renaudot 2024 a été attribué au Rwandais Gaël Faye pour Jacaranda, pour ne citer qu’eux. «La langue française enjaillée par les littératures africaines?», c’est en tout cas une question qui sera posée au Salon du livre de Genève lors d’une table-ronde proposée par l’association Défense du français dans le cadre de la Semaine de la francophonie et de la langue française. Outre Christine Le Quellec qui enseigne la littérature d’Afrique francophone à l’université de Lausanne, Ibrahima Aya, auteur et éditeur malien, et directeur de la Rentrée littéraire du Mali, sera présent à cette occasion, incarnant la vitalité de la littérature et de l’édition sur le continent africain, où les salons du livre se multiplient, chaque pays mettant un point d’honneur à organiser le sien.

C’est qu’aujourd’hui, deux francophones sur trois vivent sur le continent africain, ce qui permet à la langue française de figurer parmi les cinq langues les plus parlées dans le monde, par plus de 300 millions de personnes. Reste que la plupart de ces pays sont en fait plurilingues, le français étant la langue de communication entre des locuteurs qui ont des premières langues différentes, parfois plusieurs dizaines dans le même pays, comme c’est le cas au Cameroun ou en Côte d’Ivoire. La langue française de par sa coexistence avec de nombreuses langues nationales se voit donc irriguée, enrichie, réinventée par des mots et des expressions qui ont acquis leurs lettres de noblesse en francophonie. Dans plusieurs pays sahéliens en revanche, tels le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, la rupture avec l’ex-puissance coloniale rejaillit sur la langue française, reléguée au rang de langue de travail, avec une tendance nette à la valorisation des langues nationales. Le célèbre auteur sénégalais Boubacar Boris Diop, qui écrivait jusqu’alors en français, a même annoncé qu’il «ne rédigerait désormais plus qu’en wolof, principale langue nationale du Sénégal», tout en appelant ses collègues écrivains à en faire autant. Sur fond de tensions politiques, l’Algérie, où l’arabe est la langue officielle, a, en 2022, introduit l’anglais dès l’enseignement primaire, pour contrebalancer le français.

Reste que c’est un écrivain d’origine algérienne, Boualem Sansal, qui, l’année dernière, peu avant d’être arrêté et jeté en prison par les autorités algériennes, publiait le plus vibrant hommage à la langue de Molière paru ces derniers temps. Dans son livre Le français, parlons-en! (Editions du Cerf), il se montre certes très critique à l’égard du pouvoir algérien qui «au nom d’une politique de réislamisation expresse» a «banni le français qui assurait le lien avec le monde libre et l’univers de la philosophie». Mais aussi, il alerte les Français et la France sur la dégradation de leur propre langue, dans leur propre pays. «Si demain, vous et vos enfants, vous vous retrouvez à bredouiller du globish à deux pennys étoilés ou du wesh à deux dinars troués, n’allez pas le reprocher à ceux qui n’ont eu de cesse de vous alerter», lance-t-il dans le langage fleuri qu’on lui connaît. Du coup, on se prend à rêver : et si les «trumperies» à répétition donnaient l’envie aux francophones de boycotter le globish triomphant et ce franglais à deux balles qui pollue notre belle langue française? Cela serait une belle manière de répondre positivement aux mises en garde de Boualem Sansal, mais aussi aux initiatives visant à boycotter des produits américains, lancées il y a quelques jours.

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Grand rassemblement du mardi 25 mars 2025, Paris

Ce grand rassemblement organisé par le Comité de soutien international a attiré des centaines de gens, parmi lesquels de nombreuses personnalités politiques de tous bords. Etaient présents aussi l’écrivain et essayiste Kamel Bencheikh ainsi que le caricaturiste Ghilas Aïnouche (apparaissant tous deux sur les photographies reproduites ici).

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Journée d’étude « Boualem Sansal et la littérature mondiale », ENS de Lyon, vendredi 14 mars 2025

Le vendredi 14 mars 2025 a eu lieu la première journée d’étude initiée par notre collectif « Littérature et liberté », et organisée par les laboratoires du CERCC de l’École normale supérieure de Lyon et du CEREdI de l’Université de Rouen Normandie.

Cette rencontre, « Boualem Sansal et la littérature mondiale », souhaitait notamment à explorer les nombreux liens intertextuels de cette œuvre avec la littérature mondiale. L’événement a permis également de réaffirmer le soutien de la communauté universitaire, réunissant tant des chercheurs et chercheuses que des étudiantes et étudiants.

Il est à noter que c’est la première journée d’étude entièrement consacrée à Boualem Sansal en France – même si les œuvres de Boualem Sansal ont auparavant, bien entendu, souvent été analysées dans le cadre de colloques en littératures francophones.



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Soirée de soutien à Strasbourg le vendredi 14 mars 2025

Cette soirée de soutien à Strasbourg a été organisée par la Licra, en partenariat avec le journal Marianne. Des dessins réalisés en direct par le caricaturiste et dessinateur de presse algérien Ghinas Aïnouche ont été projetés tout au long des interventions.

  • 19h : animation de la soirée : Ève Szeftel (directrice de la rédaction de Marianne) et Abraham Bengio (Licra)
  • 19h10 : prises de parole individuelles :
  • Arnaud Benedetti (président du comité de soutien international à Boualem Sansal)
  • Catherine Trautmann (ancienne ministre de la Culture, ancienne maire de Strasbourg)
  • Jean-Michel Blanquer (ancien ministre de l’Éducation nationale, président du Laboratoire de la République)
  • 19h25 : Archive vidéo Boualem Sansal
  • 20h : Lecture de textes de Boualem Sansal choisis par Lisa Romain, professeure agrégée de lettres, auteure d’une thèse sur BS ; textes lus par Maxime Pacaud, comédien
  • 20h40 : Vidéos de soutien et messages (Kamel Daoud, Aurélie Filippetti, Tania de Montaigne, François Zimeray)
  • 20h50 : Fabielle Angel, présidente de la Licra Bas-Rhin : clôture, remerciements
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Soirée de soutien à Bruxelles le jeudi 13 mars 2025

Cette soirée de soutien s’est déroulée à Bruxelles, à l’initiative de Djemila Benhabib et Kamel Bencheikh, militants universalistes d’origine algérienne. Avec la participation du Comité de soutien international à Boualem Sansal et du Comité belge de soutien à Boualem Sansal.

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Hélé Béji, « La patrie perdue de Boualem Sansal »

Ci-dessous, ce très beau texte de l’écrivaine tunisienne Hélé Béji, publié le 23 novembre 2024 dans L’Obs (en accès libre).

“La patrie perdue de Boualem Sansal”, par Hélé Béji

Je crois qu’on ferait une grave erreur si l’on défendait Boualem Sansal comme un auteur qui serait le porte-flambeau de l’Occident « avancé », contre le monde musulman « arriéré ». C’est un contresens très fâcheux que font les médias dans leur ensemble, de part et d’autre de la Méditerranée. Chacun montant sur ses ergots et réarmant « nos » valeurs contre les « leurs ». Même si Boualem, dans ses entretiens radiophoniques, se laisse emporter par cette facilité, cette polémique dérisoire n’a rien à voir avec son œuvre. Celle-ci est bien au-dessus. La force de son esprit, l’intensité de son écriture, la hauteur de son regard, cet imaginaire de tendresse qui vous pénètre quand vous le lisez, est au-delà de toute appartenance culturelle. Boualem n’écrit ni comme un Algérien, ni comme un Français, ni comme un arabe, ni comme un musulman, ni comme un anti-musulman, ni comme un Oriental, ni comme un Occidental. Il écrit comme un poète dont l’immensité passe toutes les frontières des préjugés, des hypocrisies, des mensonges. Magie qui transcende la prophétie divine pour la condition tragique et sensuelle du genre humain, le récit de sa lutte contre l’épouvante d’être son propre bourreau, la pulsion absurde de s’autodétruire.

La plupart de ses laudateurs ou de ses accusateurs ne l’ont pas lu, j’en suis persuadée. Ils ont happé ici où là quelques formules qui les heurtent ou au contraire les ravissent, en les ramenant à leurs stéréotypes. Et les voilà s’étrillant et tirant les défunts de la guerre d’Algérie de leurs ossements, en les déterrant, en organisant cette bataille funèbre de squelettes qui s’empoignent dans la poussière du cimetière de l’histoire comme des zombies aux orbites noires.

Non, ce n’est pas ça, Boualem Sansal. Boualem écrit la musique déchirée de ceux que l’histoire a écrasés, que ce soit la tragédie coloniale ou les dérèglements postcoloniaux. La morale de Boualem est l’étincelle de la quête du bonheur dans des contrées toujours accablées des obscurs fantômes des crimes que l’histoire leur a réservés, et de l’impuissance d’en briser le sort.

La musique de Boualem n’est ni celle de l’Orient, ni celle de l’Occident. Elle est celle de l’échec humain de l’émancipation que l’on avait crue si proche pourtant dans l’épopée des peuples décolonisés. Toute sa prose est ciselée dans cette souffrance dont le thème n’a rien à voir avec un quelconque slogan idéologique. Chez Boualem, il n’y a aucune défaite ni victoire des deux acteurs de l’histoire, la France et l’Algérie. Boualem, c’est quelque sanglot de la vraie patrie où ni l’une ni l’autre ne sont dignes d’être représentées. La patrie pure et douce d’une Algérie invisible au commun des mortels, et d’une France où la fibre littéraire se dénature dans le cliché nationaliste de la « trahison des clercs », comme dirait Julien Benda.

Il suffit de lire n’importe quel texte de Boualem pour éprouver au fond de notre gorge cet amour infini pour l’Algérie, qui traverse sa prose où frémit le passé, le présent, le futur d’une vie, la sienne, dans une fêlure bouleversante entre son être et son pays natal. Il y a dans cette passion entre lui et cette terre, un miracle d’inspiration qui l’a toujours empêché de vivre ailleurs. Il perdrait la source de son génie. Ce sont les personnages de ce peuple supplicié qui animent la férocité suave de son regard, de ses images, de ses paysages. Le pacte créateur, le lien entre l’Algérie et lui est si fort qu’il en tire une grandeur secrète, mêlée de lucidité douce-amère. Quel que soit le désespoir chez Boualem, un hymne lyrique chuchote les notes d’une patrie rêvée dans ses heures sombres, sur les cordes pudiques de son esprit supérieur et enjoué. En le lisant, notre cœur bondit dans le ramage de son récit épique, acerbe et miséricordieux. Chez lui se mêlent la colère et la compassion en une chimie unique, miraculeuse, où le pardon humain perce la croûte inhumaine du châtiment. Sa prose est la caresse cruelle de son regard sur la vérité d’une société, dont il apparaît comme le plus humble de ses habitants dépossédés de leur dignité, leur joie, leur créativité. Mais il les connaît, il décrit leur vitalité et leur amour de soi sous le mépris, étouffé par des discours qui ne sont d’aucun secours pour la misère quotidienne, mais au contraire l’entretiennent et l’exploitent. En fait sa puissance littéraire est faite de cette vénération pour une patrie perdue, abandonnée des siens, avec un chagrin mêlé du sens de sa beauté profonde et limpide, sans pouvoir en faire le deuil.

La satire comme bonté

Derrière une atmosphère de massacre, toujours un appel d’innocence. Derrière la chute, la rédemption. Par-delà les masques de l’Appareil, comme il l’appelle, le visage inaltéré de l’instinct de bonté des plus humbles. La satire de Boualem est la forme irrésistible de sa bonté. Et sa liberté est la révolte de son cœur solidaire des victimes, par-delà l’injustice des puissants. L’obscurantisme le hante. Mais c’est l’obscurantisme de l’oppression, quel que soit l’argument qu’elle avance, nationaliste, partisan, chauvin, religieux, fanatique. Le fanatisme que combat Boualem n’est pas d’ordre religieux, mais d’ordre politique, quand celui-ci transforme la croyance en une prison obtuse, celle de la pérennité sauvage de ceux qui ont fait l’indépendance, pour se l’approprier en totalité, en effaçant les libérations qu’elle incarnait.

Les romans de Boualem ne sont que l’épopée délicate et douloureuse de cette conscience humaine qui court sous la foule, sous la jungle, avec l’élégance agile et souple d’un élan de félin, dont le flair instinctif est un désir cosmique de vivre et de dire, avec un talent poétique éblouissant. Ceux qui l’accusent de trahison et d’antipatriotisme n’ont rien compris, car ils ne l’ont jamais lu. Et ceux qui l’encensent comme un héraut de leur fantasme de « civilisation » font le pire des contresens de la civilisation elle-même. Ils ne l’ont pas lu non plus, mais ils ont juste parcouru quelques-unes de ses déclarations en y piochant ce qui leur plaisait d’entendre.

Non, Boualem n’est ni de ceux-ci, ni de ceux-là. Son étoffe est d’une autre nature, l’exquise lumière d’un cœur conscient. Il n’appartient ni à la thèse, ni à l’antithèse. Son écriture est cette composition de merveilleux et de sordide qu’on trouve dans les romans russes, qui rejoint avec une sensibilité meurtrie la condition inférieure de ceux qui ont été floués en servitude, dans l’ombre d’une histoire criminelle dont personne n’a encore fait le procès. Il tente avec une vocation romanesque nonpareille en Afrique du Nord, d’en souligner les difformités, en laissant toujours échapper sous les grimaces de la froideur, de la laideur, sa fascinante complicité radieuse avec ceux qui, sans le savoir, dans leur être rustique et démuni, sont les inspirateurs merveilleux et les dépositaires inconscients de son génie.

Quand Boualem est arrêté, c’est le cœur pensant et souffrant de sa patrie, dont la voix tenue, enfantine, claire tinte comme une flûte enchantée dans ses livres, qui s’arrête tout simplement de battre.

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Louis-Philippe Dalembert, « Je n’aspire qu’à une chose : la liberté pour l’ami Sansal »

Nous reproduisons ce texte inédit de l’écrivain et poète (prix Goncourt de la poésie 2024) Louis-Philippe Dalembert, en accès libre, publié le 21 décembre 2024 sur le site de la RTBF.

Louis-Philippe Dalembert, prix Goncourt de la poésie 2024 : ‘Je n’aspire qu’à une chose : la liberté pour l’ami Boualem Sansal’ – RTBF Actus

L’année 2024 s’achève, et on en gardera sans doute un sentiment en demi-teinte ; pour ne pas dire désastreux. La faute, entre autres, à la télévision, à Internet, aux réseaux sociaux qui ne cessent de nous abreuver des mauvaises nouvelles du monde. Une horreur chasse l’autre, et on n’en finit pas de redemander notre dose quotidienne, voire horaire, ou carrément sans
interruption, pour les plus dépendants. Au bout du compte, soit on traîne une éternelle déprime ; soit on les relègue dans le champ du virtuel, croyant se protéger ainsi, sans réussir toutefois à débrancher entièrement.

Et puis, un jour, voilà qu’une de ces informations vient s’adresser à nous au premier chef. Haïtien vivant en grande partie à l’étranger, j’ai été saturé ces dernières années de ces nouvelles venues du pays. Aussi ai-je choisi de vous parler plutôt d’autre chose : l’arrestation, le 16 novembre dernier, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Cela fait plus d’un mois maintenant que Boualem est retenu en détention dans son pays natal, l’Algérie, et sa demande de remise en liberté rejetée par les autorités. Essayiste, romancier, grand prix du roman de l’Académie française, traduit dans de nombreuses langues, il a été incarcéré pour « atteintes à la sûreté de l’État », sans que l’on sache
exactement en quoi consistent ces atteintes. À la vérité, son emprisonnement ne répond à aucun chef d’accusation précis, sinon sa liberté de parole vis-à-vis du pouvoir algérien.

C’est juste inadmissible qu’un homme, une femme en général, et un écrivain en particulier, soit emprisonné, sous quelques cieux que ce soient, à cause de ses propos. Des propos, dans le cas de Boualem Sansal, avec lesquels je ne suis pas toujours d’accord d’ailleurs et dont nous avons eu quelquefois l’occasion de  discuter, pas plus tard que cet été, à Sainte-Lucie de Tallane en Corse.
Ce qui est plus rageant encore, c’est de savoir l’écrivain pris en otage entre deux États, l’Algérie et la France, qui n’en finissent pas de régler leurs comptes postcoloniaux. Tout se passe comme si l’auteur du Village de l’Allemand en était une victime collatérale, selon l’expression perverse trop souvent utilisée pour désigner le massacre de populations civiles dans les conflits armés. De même, on a l’impression qu’il est devenu, en France, un enjeu idéologique entre la gauche et la droite, entre intellectuels progressistes et conservateurs –
d’autres diraient peut-être réactionnaires –, incapables de mettre de côté leurs clivages, « pour un instant, pour un instant seulement », comme chante Brel ; en tout cas, sans arrière-pensée tendancieuse. Simple question de décence, aurais-je envie de dire.

Personnellement, je n’aspire qu’à une chose : la liberté pour le collègue et l’ami Boualem Sansal. En cette fin d’année 2024, et à l’aube de la nouvelle, que nous souhaitons toutes et tous moins catastrophique, ce sont mes vœux les plus ardents pour Boualem et pour sa famille.

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Philippe Videlier, « L’otage malchanceux »

Nous reproduisons ici ce texte de l’écrivain et historien Philippe Videlier, publié le 24 février 2025 dans la Revue politique et parlementaire (en accès libre).

L’otage malchanceux – Revue Politique et Parlementaire

« Quand on voit des hommes cultivés rester indifférents devant l’oppression et la persécution, on se demande ce qu’il faut mépriser davantage – leur cynisme ou leur myopie. »

George Orwell, La Littérature encagée, 1946.

L’otage Boualem Sansal n’a pas de chance. Vraiment. Non seulement parce qu’il a été séquestré le 16 novembre dernier à Alger par des policiers ou militaires de style barbouze pour être maintenu incomunicado. Non seulement parce que sa séquestration, tenue secrète, puis révélée par quelques entrefilets, a été revendiquée le 22 novembre dans un communiqué paranoïaque et ignoble de l’agence officielle APS – Agence Presse Service (celui faisant mention de « la France Macronito-Sioniste » et dont la première phrase était : « L’agitation comique d’une partie de la classe politique et intellectuelle française sur le cas de Boualem Sansal est une preuve supplémentaire de l’existence d’un courant ‟haineux” contre l’Algérie »). Mais surtout parce qu’un coup décisif, le premier coup médiatique, lui fut porté deux jours après le communiqué algérien, quand le 24 novembre, sur le plateau de France 5, il fut labellisé « d’extrême-droite ». C’est ce qu’on appelle dans le jeu d’échecs First Move Advantage ou avantage du trait – l’avantage inhérent à ceux qui bougent les premiers, soit avantage aux Blancs car, aux échecs, les Blancs ouvrent la partie. Il paraît que les statistiques depuis un siècle et demi au moins, prouvent que le joueur Blanc, favorisé par ce premier mouvement, gagne dans une proportion oscillant entre 52 % et 56 %, car, maîtrisant l’ouverture, il commande la stratégie.

Venant derrière le communiqué de l’Algérie, ancienne colonie, cet attribut « extrême droite » lancé à la volée contre le captif sur le petit écran d’une chaîne publique eut pour effet de tétaniser à gauche. Dans la tête de ceux qui prononcent les mots, en effet, c’est déjà une justification du sort fait à Sansal. S’insinua donc l’idée que Boualem Sansal n’était pas un ange. (Mais qui le prétendrait ? Sansal se déclarant athée militant – cela d’ailleurs lui est aussi reproché, tel un blasphème, car l’Algérie est perçue comme un pays naturellement musulman, en plus d’avoir l’islam constitutionnellement institué en religion d’État. Et vous n’allez pas donner de leçons sur la séparation de la religion et de l’État, vous, les anciens coloniaux !) Pression des mots. Et puis, pour ajouter au tableau, il y a les vociférants : « Nous ne voulons pas la guerre avec l’Algérie, c’est clair ? Ce sont nos frères, nos sœurs, nos tantes, nos grands-parents, nos amis. Y’en a assez de ce vocabulaire ! Assez de dire : ‟Nous allons riposter”. Quoi riposter ? Et qu’est-ce que tu racontes ? » Un morceau de bravoure fulminé devant son public par un chef à voix tonitruante, forme impérative de consigne aux militants qui s’y plièrent assurément et aisément. Car il paraîtrait que ceux qui s’émeuvent de la séquestration d’un écrivain et le font savoir seraient de foutus fauteurs de guerre, des zélateurs de la colonisation.

Ainsi, par intimidation, le silence s’installe autour de Sansal. Tendez l’oreille gauche !

Mais si d’aucuns s’accordent sans souci pour accoler à Sansal l’épithète « d’extrême droite », comment les mêmes caractérisent-ils le régime policier implacable qui le détient et l’enferme ? « La Mecque des révolutionnaires et de la Liberté » ? (Cela, sans rire, a été dit et proféré). Quant à la liberté, même sans majuscule, le peuple algérien sait à quoi s’en tenir, et son président pareillement, puisqu’élu à 94,65 %, score admirable, signe incontestable de liberté. Il semblerait donc que, dans l’affaire de l’emprisonnement de Boualem Sansal, la gauche ait perdu, à la manière faustienne, les débris de son âme.

Cela ramène loin en arrière.

Lorsque Alexandre Soljenitsyne fut honoré du prix Nobel de littérature, en 1970, il se trouvait en fâcheuse posture. La Pravda ne le ménageait pas. La Pravda – en français La Vérité –, journal auquel, en Union soviétique, pas une personne censée ne prêtait créance. Mais ça ne l’empêchait pas de clouer l’écrivain au pilori : « Migrant spirituel de l’intérieur », « étranger et hostile à toute la vie du peuple soviétique »… « Voici le bourbier fangeux où a roulé Soljenitsyne, exclu de l’Union des écrivains d’URSS et condamné pour son attitude indigne par l’opinion soviétique », redoublait la Pravda. Il y avait alors en Occident pas mal de gens pour acquiescer, hocher la tête, battre des mains. Soljenitsyne n’a au fond que ce qu’il mérite. On lui colla sur le râble le qualificatif de renégat, d’instrument des « menées de l’impérialisme ». Tel n’était pas l’avis, cependant, du philosophe Georg Lukács, le Hongrois dont les gens de gauche un peu âgés se souviennent comme d’une figure tutélaire, un théoricien comme il n’en n’existe plus depuis belle lurette. Pas de ceux qui marmonnent sur le mode du mantra cinq mots creux de vocabulaire nouveau inventés sur les campus. Le marxiste Lukács, en 1969, ne tarissait pas d’éloges pour le dissident soviétique Soljenitsyne : « Les deux romans qui viennent de paraître représentent en effet un sommet de la littérature universelle de ce temps. » Ancien officier de l’Armée Rouge dans la Seconde Guerre mondiale, ancien déporté des camps staliniens, mis à l’index sous Brejnev, Alexandre Soljenitsyne adressa en 1967 une lettre à l’Union des écrivains : « Tant de leçons nous apprendront-elles enfin qu’il ne faut pas arrêter la plume d’un écrivain tant qu’il est en vie ? Pas une seule fois cela n’a embelli notre histoire. » On connait la suite.

Après bien des tribulations, Alexandre Soljenitsyne, accusé de haute trahison, fut banni, expulsé d’Union soviétique en 1974, à 56 ans. Son ouvrage majeur L’Archipel du Goulag, paru à Paris, se vit taxé de « diffamation malveillante contre notre État socialiste » : « L’auteur de cette œuvre respire une haine pathologique contre le pays où il est né », glapissait-on à Moscou-la-gâteuse. Les disciples français de Brejnev, voyaient en l’auteur pas encore tiré d’affaire « non seulement l’écrivain, mais encore le pamphlétaire, l’adversaire du socialisme, le chantre d’une ‟Sainte Russie” à jamais révolue et démesurément enjolivée ». Craignant d’indisposer ses proches alliés, le Parti socialiste se contenta d’un constat : « Il reste difficile en URSS d’être un intellectuel non conformiste. » Pour le moins. Mais le nouveau Prix Nobel se montrait indocile : « Malheur au pays dont la littérature est menacée par l’intervention du pouvoir ! » prophétisait-il. Faisandée de l’intérieur, il restait à l’URSS quinze années à vivre.

Deux ans après l’exil forcé de Soljenitsyne eut lieu l’échange de la honte. Boukovski contre Corvalan. Détenu pour détenu. Luis Corvalan, secrétaire du Parti communiste chilien, contre Vladimir Boukovski, écrivain longtemps interné en hôpital psychiatrique spécial « en conformité exacte avec le Code criminel » article 70-1 (agence Tass). L’idée de ce sordide échange était sortie du cerveau vicieux de Pinochet, le général aux lunettes noires, Augusto Pinochet, artisan du coup d’État sanglant contre Salvador Allende au Chili. L’échange se déroula un jour de neige et de brouillard, le samedi 18 décembre 1976, à l’aéroport de Zurich-Kloten. Boukovski atterrit vers midi à bord d’un avion Tupolev de l’Aeroflot (on lui avait ôté les menottes à l’embarquement). Corvalan atterrit à 12 h 25 à bord d’un appareil de la Lufthansa en provenance de Santiago du Chili. Une automobile diplomatique attendait au pied de la passerelle, précédée d’une voiture de la police helvétique, pour parcourir les cinq cents mètres séparant les deux appareils. Corvalan fut chargé dans l’avion soviétique tandis que Boukovski en descendait. Le Tupolev décolla à 13 h 16 pour Moscou. Corvalan avait 60 ans, Boukovski 34. Au diapason de l’opinion, Georges Marchais jugea ce marché « lamentable ».

Avec Sansal et l’Algérie, nous sommes rendus aux temps maudits de la persécution sommaire et exemplaire des écrivains, à l’ère des marchandages lamentables. Et pour corolaires les silences coupables, une couardise considérable, la médiocre cuisine casuistique. Si cela n’est pas nouveau, en vérité les leçons d’autrefois demeurent. Georges Orwell les avait tirées après-guerre : « Rappelez-vous que la malhonnêteté et la lâcheté doivent toujours se payer. Alors ne vous imaginez pas que vous pouvez vous faire pendant des années le propagandiste lèche-bottes du régime soviétique ou de n’importe quel autre régime, et puis tout à coup retrouver un état de décence mentale. Putain un jour, putain toujours. » Certes, cette conclusion manquait d’élégance, mais elle va à l’essentiel.

Boualem Sansal n’a pas 34 ans, ni 56, ni 60. Il aurait, selon les variantes d’un état civil incertain, entre 75 et 80 ans. C’est dire combien l’avenir se joue à temps court. Cela ne rend que plus exécrable le mutisme et la passivité de ceux dont la vocation, le devoir, l’honneur, est de parler et d’agir.

Philippe Videlier
Ecrivain et historien,
Auteur de Rendez-vous à Kiev et de Quatre saisons à l’Hôtel de l’Univers (Gallimard)