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« Liberté pour Boualem Sansal ! » L’appel du Prix de la paix des libraires allemands

L’organisation du Prix de la paix des libraires allemands, l’éditeur allemand de Boualem Sansal (Merlin Verlag) et le magazine culturel en ligne Perlentaucher ont lancé dès novembre un appel à la libération de Boualem Sansal, qui avait reçu en 2011 le Prix de la paix.

Nous publions la traduction française de cet appel par Martine Benoit (Université de Lille), afin d’inviter les lecteurs français à en prendre connaissance et à le signer en ligne.

Pendant des jours, l’écrivain algérien Boualem Sansal avait disparu. Hier, il a été présenté à un tribunal à Alger. Il n’est pas encore certain qu’il dispose d’une assistance juridique indépendante. Il est censé être poursuivi pour avoir tenu des propos sur l’histoire algérienne – selon le droit algérien, il est passible de peines draconiennes. Il est donc question qu’un écrivain aille en prison pour ses opinions.

Boualem Sansal est un critique déterminé du régime algérien et de l’islamisme. Il ne craint pas non plus de dénoncer un islam « officiel » incapable de mettre en place un dispositif de lutte contre l’islamisme, ni dans les pays musulmans, ni dans les pays occidentaux. Nul n’est tenu d’être de son avis. Mais qui veut discuter, ne doit pas permettre qu’on le dépossède de son interlocuteur.

L’avocat français de Sansal, François Zimeray, craint selon RTL que Sansal, après avoir tenu des propos qui ont défié le nationalisme algérien, soit accusé d’espionnage et, après un procès arbitraire, emprisonné pour une longue période.

Sansal est un citoyen algérien et français, donc européen. Nous, écrivains et journalistes allemands et internationaux ainsi que représentants d’organisations culturelles, demandons la solidarité avec Boualem Sansal.

À l’adresse au gouvernement algérien, il n’y a qu’une chose à dire : aucun écrivain ne peut être emprisonné pour ses opinions. Nous exigeons sa libération immédiate !

Nous soutenons la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock et son collègue français Jean-Noël Barrot dans leurs efforts pour obtenir du gouvernement algérien des explications sur le sort de Boualem Sansal et pour informer l’opinion publique allemande et européenne de la réponse du gouvernement algérien. Sansal a besoin d’une assistance juridique indépendante et d’un accès à sa famille, ses amis et aux représentants de l’ambassade de France.

Celui qui « fait disparaître » Boualem Sansal, comme l’a exprimé son collègue et ami Kamel Daoud, porte atteinte, en ce moment de polarisation extrême, à la possibilité même du débat. Une telle politique vise à détruire la démocratie, y compris en Europe. Si les démocraties ne s’opposent pas à une telle politique, elles sont perdues.

Parmi les premiers signataires :

Swetlana Alexijewitsch (Prix de la paix 2013, Prix Nobel de littérature 2015)
Anne Applebaum (Prix de la paix 2024)
Aleida Assmann (Prix de la paix 2018)
Margaret Atwood (Prix de la paix 2017)
Seyla Benhabib (Prix Adorno 2024)
Carolin Emcke (Prix de la paix 2016)
David Grossman (Prix de la paix 2010)
Elfriede Jelinek (Prix Nobel de littérature 2004)
Navid Kermani (Prix de la paix 2015)
Claus Leggewie (chercheur en sciences politiques)
Jo Lendle (éditeur, Carl Hanser Verlag)
Wolf Lepenies (Prix de la paix 2006)
Liao Yiwu (Prix de la paix 2012)
Katharina E. Meyer (éditrice de Boualem Sansal, Merlin Verlag)
Herta Müller (Prix Nobel de littérature 2009)
Orhan Pamuk (Prix de la paix 2005, Prix Nobel de littérature 2006)
Salman Rushdie (Prix de la paix 2023)
Irina Scherbakowa (Prix Nobel de la paix 2022 pour l’organisation Memorial)
Martin Schulz (ancien Président du Parlement européen)

Liste complète des signataires : https://www.friedenspreis-des-deutschen-buchhandels.de/freiheit-fuer-boualem-sansal

Signer l’appel : https://www.boersenverein.de/politik-positionen/freiheit-fuer-boualem-sansal/

Télécharger l’affiche (en allemand) pour faire connaître l’appel : https://www.friedenspreis-des-deutschen-buchhandels.de/fileadmin/user_upload/preistraeger/2020-2029/2024/FreeSansal.pdf

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Communiqué du Comité de soutien à Boualem Sansal (29 décembre 2024)

Le Président algérien vient ce jour de prononcer un discours qui laisse peu d’illusions quant au sort réservé à notre ami et compatriote Boualem Sansal, alors que dans le même temps le régime annonce vouloir gracier en signe d’apaisement près de 2400 prisonniers.

Après 24 heures de rumeurs contradictoires laissant espérer une libération de Boualem Sansal , les propos du chef de l’État algérien confirment s’il le fallait le statut de prisonnier politique de celui qui est l’otage d’un pouvoir arbitraire et policier.

Tout pourtant portait à croire qu’à la faveur de ces mesures de clémence, le Président algérien aurait saisi cette opportunité pour sortir par le haut d’une crise sans précédent dans les relations franco-algériennes. Bien au contraire et délibérément, les autorités algériennes semblent avoir opté pour porter à leur comble les tensions entre nos deux pays. Après le refus de délivrer son visa à l’avocat français désigné pour assister Boualem Sansal au mépris des droits de la défense, après une fin de non-recevoir inédite opposée à la demande française d’une protection consulaire élémentaire, le régime algérien franchit un pas supplémentaire en prenant le risque d’une altération irréversible de la santé de notre compatriote. Cette situation est non seulement inique et inacceptable, mais elle met sa vie en danger.

Nous ne pouvons admettre en effet qu’âgé de 80 ans et gravement malade, Boualem Sansal soit ainsi embastillé pour un motif totalement fantaisiste : une « atteinte à l’intégrité nationale », lui qui n’a fait qu’exercer sa liberté d’expression d’écrivain et de penseur.

Le Comité de Soutien de Boualem Sansal composé de plus de 1000 membres de nationalités et de courants de pensée les plus divers, associant hautes personnalités politiques, intellectuels et représentants de la société civile, condamne avec la plus extrême fermeté la détention arbitraire dont est victime l’un de nos plus grands romanciers francophones contemporains. Cette détention, que ce soit dans un cachot ou dans un hôpital militaire qui s’avère sans les moyens de lui apporter les soins nécessaires, s’assimile à une non-assistance à personne en danger.

Face à ce péril imminent, le Comité :

  • demande au Président de la République, Emmanuel Macron, et de manière plus générale aux autorités françaises compétentes, de prendre les mesures décisives qui s’imposent pour obtenir dans les plus brefs délais, à titre humanitaire, la libération de Boualem Sansal pour la vie duquel on a toutes raisons d’avoir les plus grandes inquiétudes.
  • appelle également les autorités européennes, Présidents de la Commission, du Parlement et du Conseil ainsi que Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à engager immédiatement les démarches indispensables à sa remise en liberté immédiate et sans condition.
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Soirée de soutien à Boualem Sansal : « Un jour, sa prison sera la nôtre » (vidéo)

« Un jour, la prison de Sansal sera la nôtre »

Près de 1200 personnes se sont rassemblées le 16 décembre 2024 lors d’une mobilisation en soutien à Boualem Sansal, arbitrairement emprisonné depuis un mois en Algérie. Personnalités politiques, intellectuels, écrivains et journalistes se sont réunis au Théâtre Libre pour réclamer sa libération.

Organisé par Marianne, Gallimard, Revue politique, Laboratoire de la République, Les éditions du Cerf, Comité Laïcité République & Le Point.

00:00 Introduction de la soirée par M. Encoua et A. Benetti
08:44 Camus et Sansal, la nation de la littérature – G.-M. Benhamou
11:54 Un jour la prison de Sansal sera la nôtre – K. Daoud
16:14 Sansal nous donne le courage d’avoir du courage – J.F. Colosimo
21:56 Son incarcération n’est pas légale – A. Gallimard
29:39 Le comité de soutien en Allemagne – V. von Wroblewsky
32:05 Lecture de textes de Boualem Sansal par R. Khan
41:41 Table-ronde avec P. Vermeren, X. Driencourt, R. Binhas, L. Romain
01:17:56 Les Voltaire et Diderot d’Algérie – J.M. Blanquer
01:22:28 Se mobiliser pour un intellectuel emprisonné – B. Cazeneuve
01:30:00 Le silence c’est la mort – N. Polony
01:30:00 Nous sommes tous Boualem Sansal – E. Gernelle
01:38:08 La laïcité est un chemin de liberté et de paix – G. Abergel
01:43:29 Sansal ne va pas bien – François Zimmeray
01:48:40 Conclusion – N. Lenoir

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Kamel Daoud : « Une des choses les plus difficiles à expliquer au monde, c’est ce qu’est une dictature », France Inter (vidéo)

Kamel Daoud, écrivain et journaliste, lauréat du prix Goncourt 2024 pour son roman Houris (Gallimard), est l’invité du Grand entretien de France Inter (mercredi 11 décembre 2024).

Compatriote, compagnon d’écriture et ami de Kamel Daoud, l’écrivain Boualem Sansal a été arrêté le mois dernier en Algérie, et incarcéré pour « atteinte à la sûreté de l’État ». « Je ressens de la colère, un sentiment d’humiliation sur l’image que l’on donne de l’Algérie. Je ressens de la tristesse, une envie de ne plus parler de l’Algérie, de m’ouvrir au reste du monde, parce que ça a été blessant« , répond Kamel Daoud. Mais il affirme aussi son envie de solidarité, de continuer à expliquer ce qu’il s’est passé, « parce qu’une des choses les plus difficiles à expliquer au monde, c’est ce qu’est une dictature : tant qu’on ne la ressent pas dans son corps, il est difficile d’expliquer aux gens qui vivent en démocratie ce qu’est la dictature« .

Le régime, selon lui, a construit sa survit « sur l’idée que le monde entier nous en veut, qu’il y a un complot international« , selon Kamel Daoud. « Je ne suis pas optimiste sachant les mœurs de ce régime, mais je pense qu’il faut une mobilisation continue parce qu’il faut que Boualem et d’autres écrivains soient soutenus« . Pour lui, Boualem Sansal n’aurait pas dû retourner en Algérie. Mais « quand on est un exilé, on est toujours tenté par le dernier voyage, celui où on prend les dernières photos, les derniers bibelots. Et le dernier voyage, c’est toujours le plus dangereux« .

En France on n’est pas des « bons arabes »

Comment reçoit-il les « oui mais » qui ont surgi après l’arrestation de Boualem Sansal, les nuances le qualifiant d’écrivain d’extrême droite ? « On conteste un homme libre et on soutient un homme en prison, c’est la règle de base », rappelle-t-il. « Le problème des écrivains d’origine algérienne comme moi, c’est qu’on est piégé par les fractures françaises. Vous voulez parler d’islamisme, on nous dit, attention, islamophobie. Vous voulez parler de l’échec du pays d’origine, on vous dit que vous êtes contre la migration (…). On est bridés. En Algérie on est accusés d’être français, en France on n’est pas des bons arabes« .

Mais dans le même temps, dit l’écrivain, « je ressens de la joie parce que j’ai reçu le prix Goncourt, et ça ils ne pourront pas me l’enlever, de la fierté, et j’ai envie de continuer à écrire des livres« . Mais pourquoi l’Algérie déteste-t-elle ses écrivains ? « Je pense que l’écrivain représente le côté guérison par l’universalité, le choix d’aller vers l’autre, face à un pays qui bâtit son hypernationalisme sur le refus du monde, sur le repli sur soi« , répond-il. « Qu’est-ce qu’on me reproche à moi, qui n’écris que des fictions ? De défendre les femmes ? Je l’assume. De défendre la liberté ? Je l’assume. De dénoncer l’islamisme ? Je l’assume. De dénoncer l’autoritarisme ? Je l’assume. Est-ce que ça fait de moi un diable ? Je serai le diable« .

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Signes des temps (podcast) « Les écrivains Kamel Daoud et Boualem Sansal : du bon usage de la trahison »

France Culture, 1er décembre 2024. Une émission de Marc Weitzmann.

Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024, est vilipendé des deux côtés de la Méditerranée — l’écrivain Boualem Sansal arrêté et inculpé : quand les écrivains sont vus comme des traîtres. Mais qu’est-ce qu’un traître, à quoi sert-il, quelle est sa fonction pour le pouvoir qui l’isole ?

Avec

  • Ali Bensaâd : Professeur des universités à l’Institut français de géopolitique de l’université Paris 8
  • Jean-Marie Laclavetine: éditeur, romancier, nouvelliste, traducteur
  • Smaïn Laacher, sociologue.

Peu après l’attribution du Goucourt au roman de Kamel Daoud Houris déjà interdit au salon du livre d’Alger, l’avocate algérienne Fatima Benbraham rendait public deux plaintes déposées début août contre Kamel Daoud et son épouse au tribunal d’Oran, l’une pour violation du secret médical, l’autre pour violation de la loi de réconciliation nationale, déclenchant aussitôt contre l’auteur du livre une campagne de presse extraordinairement violente des deux côtés de la méditerranée.

Quelques jours plus tard le 16 novembre, profitant de l’arrivée à Alger du romancier Boualem Sansal, les autorités algériennes procédaient à son arrestation avant de l’inculper pour atteinte à l’unité nationale, une peine passible de la prison à vie.

Les deux écrivains sont depuis considérés l’un et l’autre comme des suppôts du sionisme, du colonialisme et de l’extrême droite, bref comme des traîtres à leur patrie -cette patrie que la députée de gauche Rima Hassan décrivait dans un tweet comme « la Mecque des révolutionnaires et son deuxième chez moi« .

Mais qu’est-ce qu’un traître, à quoi sert-il, quelle est sa fonction pour le pouvoir qui l’isole ?

La figure du « traître littéraire »

Smaïn Laacher décrit cette figure universelle du traître « toutes les sociétés possèdent un ‘stock de traîtres’ comme figure repoussoir (…) la figure du traître est là pour pour ressouder l’unité nationale et nommer l’ennemi.« 
Il analyse les différentes prises de position après l’arrestation de l’écrivain : « dire que Boualem Sansal a blessé le sentiment national, c’est exactement mot pour mot la parole de l’autorité étatique. Et même si il avait blessé le sentiment national, il en a tout à fait le droit. La critique est sans limites, la limite est le droit.(…) la critique c’est le pouvoir de produire de l’intelligibilité sur des choses compliquées. » Ali Bensaâd rappelle le contexte politique à savoir le désaveu d’un régime qui s’est durci, il poursuit : « seul les régimes fragiles arrêtent les écrivains (…) J’ajoute que la question de l’intégrité territoriale en Algérie structure l’inconscient collectif algérien qui a une réactivité toujours exacerbée sur cette question. Le régime convoque ce rapport au territoire et l’instrumentalise. » Jean-Marie Laclavetine, son éditeur depuis Le serment des barbares (paru en 1999 aux éditions Gallimard) et Le village de l’Allemand retrace le parcours de Boualem Sansal : « sa trajectoire privée -dont il fait le récit dans ‘Rue Darwin’ -est tout à fait extraordinaire, il croise l’histoire de son pays tel qu’il l’a observé et analysé (…) Boualem Sansal est un libre penseur, un voltairien qui a un regard à la fois très critique et plein d’amour pour l’Algérie. »

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