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En dialogue avec Sansal

Louis-Philippe Dalembert, « Je n’aspire qu’à une chose : la liberté pour l’ami Sansal »

Nous reproduisons ce texte inédit de l’écrivain et poète (prix Goncourt de la poésie 2024) Louis-Philippe Dalembert, en accès libre, publié le 21 décembre 2024 sur le site de la RTBF.

Louis-Philippe Dalembert, prix Goncourt de la poésie 2024 : ‘Je n’aspire qu’à une chose : la liberté pour l’ami Boualem Sansal’ – RTBF Actus

L’année 2024 s’achève, et on en gardera sans doute un sentiment en demi-teinte ; pour ne pas dire désastreux. La faute, entre autres, à la télévision, à Internet, aux réseaux sociaux qui ne cessent de nous abreuver des mauvaises nouvelles du monde. Une horreur chasse l’autre, et on n’en finit pas de redemander notre dose quotidienne, voire horaire, ou carrément sans
interruption, pour les plus dépendants. Au bout du compte, soit on traîne une éternelle déprime ; soit on les relègue dans le champ du virtuel, croyant se protéger ainsi, sans réussir toutefois à débrancher entièrement.

Et puis, un jour, voilà qu’une de ces informations vient s’adresser à nous au premier chef. Haïtien vivant en grande partie à l’étranger, j’ai été saturé ces dernières années de ces nouvelles venues du pays. Aussi ai-je choisi de vous parler plutôt d’autre chose : l’arrestation, le 16 novembre dernier, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Cela fait plus d’un mois maintenant que Boualem est retenu en détention dans son pays natal, l’Algérie, et sa demande de remise en liberté rejetée par les autorités. Essayiste, romancier, grand prix du roman de l’Académie française, traduit dans de nombreuses langues, il a été incarcéré pour « atteintes à la sûreté de l’État », sans que l’on sache
exactement en quoi consistent ces atteintes. À la vérité, son emprisonnement ne répond à aucun chef d’accusation précis, sinon sa liberté de parole vis-à-vis du pouvoir algérien.

C’est juste inadmissible qu’un homme, une femme en général, et un écrivain en particulier, soit emprisonné, sous quelques cieux que ce soient, à cause de ses propos. Des propos, dans le cas de Boualem Sansal, avec lesquels je ne suis pas toujours d’accord d’ailleurs et dont nous avons eu quelquefois l’occasion de  discuter, pas plus tard que cet été, à Sainte-Lucie de Tallane en Corse.
Ce qui est plus rageant encore, c’est de savoir l’écrivain pris en otage entre deux États, l’Algérie et la France, qui n’en finissent pas de régler leurs comptes postcoloniaux. Tout se passe comme si l’auteur du Village de l’Allemand en était une victime collatérale, selon l’expression perverse trop souvent utilisée pour désigner le massacre de populations civiles dans les conflits armés. De même, on a l’impression qu’il est devenu, en France, un enjeu idéologique entre la gauche et la droite, entre intellectuels progressistes et conservateurs –
d’autres diraient peut-être réactionnaires –, incapables de mettre de côté leurs clivages, « pour un instant, pour un instant seulement », comme chante Brel ; en tout cas, sans arrière-pensée tendancieuse. Simple question de décence, aurais-je envie de dire.

Personnellement, je n’aspire qu’à une chose : la liberté pour le collègue et l’ami Boualem Sansal. En cette fin d’année 2024, et à l’aube de la nouvelle, que nous souhaitons toutes et tous moins catastrophique, ce sont mes vœux les plus ardents pour Boualem et pour sa famille.