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Kamel Daoud : « Une des choses les plus difficiles à expliquer au monde, c’est ce qu’est une dictature », France Inter (vidéo)

Kamel Daoud, écrivain et journaliste, lauréat du prix Goncourt 2024 pour son roman Houris (Gallimard), est l’invité du Grand entretien de France Inter (mercredi 11 décembre 2024).

Compatriote, compagnon d’écriture et ami de Kamel Daoud, l’écrivain Boualem Sansal a été arrêté le mois dernier en Algérie, et incarcéré pour « atteinte à la sûreté de l’État ». « Je ressens de la colère, un sentiment d’humiliation sur l’image que l’on donne de l’Algérie. Je ressens de la tristesse, une envie de ne plus parler de l’Algérie, de m’ouvrir au reste du monde, parce que ça a été blessant« , répond Kamel Daoud. Mais il affirme aussi son envie de solidarité, de continuer à expliquer ce qu’il s’est passé, « parce qu’une des choses les plus difficiles à expliquer au monde, c’est ce qu’est une dictature : tant qu’on ne la ressent pas dans son corps, il est difficile d’expliquer aux gens qui vivent en démocratie ce qu’est la dictature« .

Le régime, selon lui, a construit sa survit « sur l’idée que le monde entier nous en veut, qu’il y a un complot international« , selon Kamel Daoud. « Je ne suis pas optimiste sachant les mœurs de ce régime, mais je pense qu’il faut une mobilisation continue parce qu’il faut que Boualem et d’autres écrivains soient soutenus« . Pour lui, Boualem Sansal n’aurait pas dû retourner en Algérie. Mais « quand on est un exilé, on est toujours tenté par le dernier voyage, celui où on prend les dernières photos, les derniers bibelots. Et le dernier voyage, c’est toujours le plus dangereux« .

En France on n’est pas des « bons arabes »

Comment reçoit-il les « oui mais » qui ont surgi après l’arrestation de Boualem Sansal, les nuances le qualifiant d’écrivain d’extrême droite ? « On conteste un homme libre et on soutient un homme en prison, c’est la règle de base », rappelle-t-il. « Le problème des écrivains d’origine algérienne comme moi, c’est qu’on est piégé par les fractures françaises. Vous voulez parler d’islamisme, on nous dit, attention, islamophobie. Vous voulez parler de l’échec du pays d’origine, on vous dit que vous êtes contre la migration (…). On est bridés. En Algérie on est accusés d’être français, en France on n’est pas des bons arabes« .

Mais dans le même temps, dit l’écrivain, « je ressens de la joie parce que j’ai reçu le prix Goncourt, et ça ils ne pourront pas me l’enlever, de la fierté, et j’ai envie de continuer à écrire des livres« . Mais pourquoi l’Algérie déteste-t-elle ses écrivains ? « Je pense que l’écrivain représente le côté guérison par l’universalité, le choix d’aller vers l’autre, face à un pays qui bâtit son hypernationalisme sur le refus du monde, sur le repli sur soi« , répond-il. « Qu’est-ce qu’on me reproche à moi, qui n’écris que des fictions ? De défendre les femmes ? Je l’assume. De défendre la liberté ? Je l’assume. De dénoncer l’islamisme ? Je l’assume. De dénoncer l’autoritarisme ? Je l’assume. Est-ce que ça fait de moi un diable ? Je serai le diable« .

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Signes des temps (podcast) « Les écrivains Kamel Daoud et Boualem Sansal : du bon usage de la trahison »

France Culture, 1er décembre 2024. Une émission de Marc Weitzmann.

Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024, est vilipendé des deux côtés de la Méditerranée — l’écrivain Boualem Sansal arrêté et inculpé : quand les écrivains sont vus comme des traîtres. Mais qu’est-ce qu’un traître, à quoi sert-il, quelle est sa fonction pour le pouvoir qui l’isole ?

Avec

  • Ali Bensaâd : Professeur des universités à l’Institut français de géopolitique de l’université Paris 8
  • Jean-Marie Laclavetine: éditeur, romancier, nouvelliste, traducteur
  • Smaïn Laacher, sociologue.

Peu après l’attribution du Goucourt au roman de Kamel Daoud Houris déjà interdit au salon du livre d’Alger, l’avocate algérienne Fatima Benbraham rendait public deux plaintes déposées début août contre Kamel Daoud et son épouse au tribunal d’Oran, l’une pour violation du secret médical, l’autre pour violation de la loi de réconciliation nationale, déclenchant aussitôt contre l’auteur du livre une campagne de presse extraordinairement violente des deux côtés de la méditerranée.

Quelques jours plus tard le 16 novembre, profitant de l’arrivée à Alger du romancier Boualem Sansal, les autorités algériennes procédaient à son arrestation avant de l’inculper pour atteinte à l’unité nationale, une peine passible de la prison à vie.

Les deux écrivains sont depuis considérés l’un et l’autre comme des suppôts du sionisme, du colonialisme et de l’extrême droite, bref comme des traîtres à leur patrie -cette patrie que la députée de gauche Rima Hassan décrivait dans un tweet comme « la Mecque des révolutionnaires et son deuxième chez moi« .

Mais qu’est-ce qu’un traître, à quoi sert-il, quelle est sa fonction pour le pouvoir qui l’isole ?

La figure du « traître littéraire »

Smaïn Laacher décrit cette figure universelle du traître « toutes les sociétés possèdent un ‘stock de traîtres’ comme figure repoussoir (…) la figure du traître est là pour pour ressouder l’unité nationale et nommer l’ennemi.« 
Il analyse les différentes prises de position après l’arrestation de l’écrivain : « dire que Boualem Sansal a blessé le sentiment national, c’est exactement mot pour mot la parole de l’autorité étatique. Et même si il avait blessé le sentiment national, il en a tout à fait le droit. La critique est sans limites, la limite est le droit.(…) la critique c’est le pouvoir de produire de l’intelligibilité sur des choses compliquées. » Ali Bensaâd rappelle le contexte politique à savoir le désaveu d’un régime qui s’est durci, il poursuit : « seul les régimes fragiles arrêtent les écrivains (…) J’ajoute que la question de l’intégrité territoriale en Algérie structure l’inconscient collectif algérien qui a une réactivité toujours exacerbée sur cette question. Le régime convoque ce rapport au territoire et l’instrumentalise. » Jean-Marie Laclavetine, son éditeur depuis Le serment des barbares (paru en 1999 aux éditions Gallimard) et Le village de l’Allemand retrace le parcours de Boualem Sansal : « sa trajectoire privée -dont il fait le récit dans ‘Rue Darwin’ -est tout à fait extraordinaire, il croise l’histoire de son pays tel qu’il l’a observé et analysé (…) Boualem Sansal est un libre penseur, un voltairien qui a un regard à la fois très critique et plein d’amour pour l’Algérie. »

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